La Fondation Maison des sciences de l’homme a été précipitée dans une crise grave qui menace de signifier la fin de cette institution nationalement et internationalement reconnue, créée par Fernand Braudel en 1963.
En réaction à une campagne initiée il y a plus d’un an, et accentuée depuis peu par la nouvelle majorité au sein du Conseil de surveillance de la FMSH, le président du directoire, Michel Wieviorka, a annoncé, à la fin de la séance du Conseil du 20 juillet 2020, sa démission avec effet au 31 octobre 2020 ; les autres membres du directoire, Ghislaine Azémard et Jean-Pierre Dozon ont démissionné également. La démission du directoire a été suivie par la démission avec effet immédiat de quatre membres qualifiés du Conseil: Jean-Jacques Augier, ancien président du Conseil de surveillance, Béatrice de Durfort, Déléguée Générale du Centre Français des Fonds et Fondations, Bertrand Jouve, directeur de recherche au CNRS et Sandra Lagumina, Conseillère d’État.
Par ce geste, les démissionnaires ont entendu dénoncer avec force la volonté de la majorité des membres institutionnels du Conseil de mettre sous tutelle la FMSH, qui est une fondation reconnue d’utilité publique et par définition de droit privé, et de la mettre au service exclusif du projet du Campus Condorcet dont elle est déjà, faut-il le rappeler, un des onze « établissements membres ». En effet, le 30 avril dernier, ces membres institutionnels avaient exigé qu’une feuille de route précisant « les transferts nécessaires [de la FMSH au Campus Condorcet] tant en ce qui concerne les ressources que les personnels, soit préparée dans les plus brefs délais ». Avec cette crise la voie est aujourd’hui ouverte pour mettre en œuvre ce plan visant à faire de la FMSH, une simple Unité de service, ses ressources et ses personnels comptant apparemment plus pour les responsables de ces institutions que ses missions scientifiques.
Devant cette situation nouvellement créée, l’Association des Amis de la FMSH, exprime sa plus grande inquiétude et en appelle à la responsabilité de tous. Dans la crise actuelle, il est vital que les grandes institutions scientifiques représentées au Conseil de surveillance privilégient les intérêts à long terme de la recherche en sciences sociales et humaines, sans tentation hégémonique, et qu’elles suivent la ligne tracée par la Ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation le 27 avril 2020, appelant d’une part, à un renforcement des relations entre la Fondation et le Campus Condorcet – auquel, signe de son engagement, la Fondation a déjà transmis son joyau patrimonial, sa bibliothèque, qui sera un pilier majeur du Grand Equipement Documentaire – mais appelant aussi, évoquant la FMSH, « à une évolution respectueuse de son histoire et du travail considérable accompli au cours des dernières années […]. »
Dans cet esprit, les différends récents sur la gestion et la politique scientifique menée par la FMSH ne doivent pas servir de prétexte au démembrement de la Fondation. Au contraire, ils doivent servir de base pour engager un débat largement ouvert sur le rôle que peut et doit jouer la FMSH au sein du système français de recherche en pleine mutation. Un tel débat est d’autant plus important qu’au cours de son histoire, la FMSH, conçue dès le départ comme un espace de liberté intellectuelle, a constamment montré que sur cette base fondatrice elle savait évoluer au service de l’ensemble des sciences sociales et humaines, en France et à l’étranger. C’est cette posture qui explique pourquoi des institutions comme le CNRS et le Ministère des Affaires étrangères, ainsi que son réseau d’ambassades, de même que le Ministère de la recherche, ont constamment montré qu’elles considéraient la FMSH comme un bien commun de la recherche française, ouverte sur l’international, et comme un partenaire qu’il faut soutenir et renforcer, et non pas affaiblir. Et c’est pour la même raison que le Campus Condorcet aura tout intérêt à pouvoir s’appuyer sur une fondation renforcée et capable de librement lier des partenariats scientifiques avec les meilleures composantes des SHS, aux niveaux national et international.
L’avenir de ce bien commun que constitue la FSMH dépend maintenant du Conseil de surveillance. Saura-t-il, lors de la cooptation de quatre nouveaux membres qualifiés, privilégier la diversité des regards ? Saura-t-il réintroduire une indispensable présence internationale dans ses rangs, présence inexistante depuis le retrait du FNRS belge en 2019, las d’assister à des débats purement franco-francais ? Le Conseil aura-t-il la sagesse et la clairvoyance d’élire un nouveau directoire qui sera le porteur, dans un nouveau contexte, d’un projet intellectuel ambitieux, préservant l’esprit de ce qu’avaient initié en leur temps Fernand Braudel et Clemens Heller, et que leurs successeurs ont veillé à faire vivre ?
C’est à cette sagesse et à cette clairvoyance que l’Association des Amis de la FMSH appelle le Conseil à l’opposé de ce que, dans une tribune récemment publiée dans la presse, des membres institutionnels du Conseil invoquaient concernant « les missions originelles » de la Fondation, les réduisant à « servir les besoins d’appui » des établissements d’enseignement supérieur et les organismes de recherche publics – faut-il comprendre du seul Campus Condorcet ? C’est oublier que les missions attribuées à la FMSH étaient multiples : soutenir de façon flexible des initiatives originales de chercheurs français et étrangers, aider à la publication de leurs travaux, créer des réseaux internationaux, favoriser des capacités créatrices et des partenariats nourrissant les actions scientifiques prometteuses. C’est bien pour cette raison que Fernand Braudel, avec le soutien sans faille des responsables ministériels de la Recherche de l’époque, a établi une Fondation indépendante des grandes institutions d’enseignement et de recherche existantes.
Et c’est pour la même raison que dans le cadre de sa vocation l’Association des Amis de la FMSH en appelle à la communauté scientifique française et internationale pour qu’elle fasse entendre sa voix et s’oppose à la dénaturation voire à la destruction d’une institution qui, au contraire, dans l’intérêt bien compris de l’ensemble des sciences humaines et sociales françaises et internationales doit être restaurée dans la plénitude de sa vocation originelle. Un tel projet est parfaitement compatible avec une forte présence de la FMSH sur le Campus Condorcet.
Pour l’Association des Amis de la FMSH Hinnerk Bruhns, président Paris, le 29 juillet 2020